lundi 22 septembre 2014
Intérieur
Comme son titre l’indique, l’action de la pièce se définit d’abord par un conflit d’espaces. L’intérieur, c’est une maison avec trois fenêtres éclairées qui laissent voir, comme en un mimodrame, une famille recueillie lors d’une veillée au coin du feu (le père) et à table sous la lampe (les deux filles et la mère avec son enfant endormi). L’extérieur, c’est un « vieux jardin planté de saules » peuplé d’un étranger et d’un vieillard, puis de ses deux filles, puis enfin de la foule des villageois. L’extérieur regarde et commente cette scène intime de famille. Le regard du spectateur redouble ce dispositif d’emboîtement qui figure comme une mise en abyme symbolique de la représentation. L’unique action réside dans cet entre-deux : l’extérieur doit faire intrusion pour annoncer une nouvelle funeste (la mort d’une autre des jeunes filles de la maison). La pièce tient ainsi toute entière dans délibération et dans ce mimodrame, lui-même à la fois commenté et représenté sous les allures d’un songe où les gestes et les mouvements puissent être « comme spiritualisés par la distance, la lumière et le voile indécis des fenêtres ». Pour le metteur en scène - qui a simplifié la scénographie, comme à son habitude, à la façon d’un tableau abstrait, en demandant à la lumière de faire le départ entre ces « deux mondes », comme il les appelle – Maeterlinck a cherché à « faire émerger le mélange de l’inconscient et du conscient » en jouant sur cette ligne de fracture entre intérieur et extérieur. De fait, avec ce retard à la reconnaissance pathétique, la maison est dans une certaine inconscience du bonheur dénoncée par l’ironie tragique de cette double représentation. Image de l’inconscience mais aussi de la prescience : après avoir bien distingué scénographiquement les deux espaces, la mise en scène ne cesse d’en brouiller les frontières en multipliant des signes ambivalents comme autant d’intersignes prémonitoires. Comme par un montage expressif, la vie de la maisonnée prend des allures de veillée funèbre et l’enfant inerte, totalement endormi, semble une préfiguration funeste de ce qui va arriver - et qui a pourtant déjà eu lieu - pour représenter ce que Claude Régy appelle « la manifestation conjointe de l’inconscient et du conscient ». Pour mettre en scène cette courte pièce de 1894, Régy a comme transposé la dramaturgie symboliste de Maeterlinck en sollicitant l’étrangeté d’une langue étrangère rendue d’autant plus étrange par ce qu’il appelle la « sur-articulation » qui consiste à « faire entendre le son des syllabes, faire en sorte que le son soit prioritaire sur le sens. Que la compréhension s’opère par le rythme, la musique ». Le metteur en scène transpose par ce biais l’ambition poétique que l’auteur revendiquait pour son petit drame pour marionnettes, à savoir une représentation qui soit l’épanchement du songe de l’acteur dans le rêve du spectateur. Cette nécessaire érosion des contours touche alors autant la caractérisation du personnage que l’incarnation de l’acteur : « si sa voix, ses gestes, et son attitude ne sont pas voilées par un grand nombre de conventions synthétiques ; si l’on aperçoit un seul instant l’être vivant qu’il est et l’âme qu’il possède – il n’y a pas de poème au monde qui ne recule devant lui » (Préface des Trois petits drames pour marionnettes). Dans cette dramaturgie du presque rien et du je ne sais quoi où gestes, paroles et mouvements deviennent hiératiques, la vitesse est le signe de l’imminence et de la catastrophe, celle qui vide la scène au moment de l’aveu interdit qui ne peut donc être que mimé et deviné, laissant seuls l’Etranger de passage, figure de l’intrus funeste et l’enfant qui reste, perdu dans la lumière vaporisée du Songe : « l’enfant ne s’est pas éveillé ! ».
Intérieur de Maurice Maeterlinck. Mise en scène de Claude Régy. Spectacle en japonais surtitré en français. Maison de la Culture du Japon à Paris. Plus d’informations sur le site de la revue ETUDES: http://www.revue-etudes.com/archive/article.php?code=16388