samedi 20 février 2016

Le retour au désert

Le retour au désert est monté semble-t-il dans une perspective politique (« le théâtre d’Arnaud Meunier, un théâtre politique ») « en réponse à l’inquiétude que suscite la montée du Front national » (Programme). Koltès s’en est toujours défendu (« ce n’est pas mon sujet » disait-il au moment de la création de la pièce) mais en effet on n’est pas obligé de le croire, d’autant plus qu’il avait dit la même chose de Combat de nègre et de chiens. Mais quitte à reprendre un spectacle emblématique dans une orientation politique de résistance, et puisqu’il est impliqué dans ce spectacle, pourquoi pas l’inoubliable trilogie de Bezace, C’est pas facile (Le piège d’Emmanuel Bove, Noce et Grand Peur de Brecht, Pereira prétend de Tabucchi) ? Quoiqu’il en soit, la mise en scène ne force pas spécialement le trait, mais laisse au spectateur le soin de repérer, ici ou là, ce qui peut fournir extrêmement et salutairement à une charge anti-nationaliste : la tirade colonialiste et impérialiste du parachutiste noir sur la France éternelle (« j’aime la France de Dunkerque à Brazzaville »), l’éloge paradoxal d’une Province (« le monde entier envie notre province ») par Adrien (Didier Bezace) doit se lire bien entendu en creux comme un manifeste qui sent terriblement le renfermé, les saillies à l’emporte-pièce de Mathilde (Catherine Hiegel) - « Mes racines ? quelles racines, je ne suis pas une salade ; j’ai des pieds et ils ne sont pas faits pour s’enfoncer dans le sol » - fonctionnent comme autant de mots d’auteur qui font mouche. C’est sans doute d’ailleurs ce côté un peu pièce bien faite qui parfois limite la portée de cette grande référence du répertoire contemporain. On le sait, écrite pour Jacqueline Maillan à l’origine, la comédie, revendiquée comme telle par Koltès, mêle évidemment des éléments de vaudeville, voire de boulevard (la scène de ménage continue) qu’elle transfigure certes par sa dramaturgie poétique (foisonnement des monologues et des discours), ses lignes de fuite multiples (chaque personnage pousse une intrigue ou une action) et son écriture bien évidemment toujours recherchée et toujours déroutante ; mais, et la fin en est l’illustration majeure, la pièce est décidément sans doute trop bien ficelée pour être tout à fait honnête. Elle se boucle sur elle-même, retombe sur ses pieds, et finalement, à la faveur d’une pirouette, tourne le dos à sa propre subversion comme si elle avait été « racontée du point de vue de l’ordre », comme si toute la pièce n’était qu’un « bref désordre qui s’est annulé » (Sartre, Qu’est-ce que la littérature?). À la manière d’un conte bouclé qui culmine en son dénouement en même temps qu’il s’y abîme, dans le finale du Retour au désert, « l’ordre triomphe » (ibid.).

Le retour au désert, de Bernard-marie Koltès, mise en scène d’Arnaud Meunier. Plus d’informations du le site de la revue ETUDES : https://www.revue-etudes.com/archive/article.php?code=17405

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