samedi 20 février 2016

Roberto Zucco

Depuis sa création, Roberto Zucco pose deux problèmes majeurs à ceux qui tentent de mettre en scène cette ultime pièce de Koltès (créée et publiée en 1990) : la responsabilité (morale), la représentation (scénographique). L’éthique de la scène, au-delà même de la bienséance, est une question ancienne si l’en est (que l’on se souvienne de la préface de Britannicus) : que faire du monstre, naissant ou non, au théâtre ? Dès 1990, les familles de victimes ont eu un certain nombre de réponses assez arrêtées sur le sujet. Quant à la scénographie éclatée, nerveuse et elliptique qu’adopte Koltès en renouvelant totalement sa manière à l’occasion d’une pièce foisonnante de personnages mais sans longues plages monologiques, sans transcendance stylistique marquée, elle reste une gageure en termes de cohésion scénique. La pièce raconte le déraillement d’un certain Roberto Succo qui commence sa carrière de serial killer en 1981 par le meurtre de ses parents et la finit par son suicide (1988). La pièce, écrite à chaud, dans l’urgence, contre l’imminence d’une maladie inexorable à laquelle on doit sans doute cette fameuse tirade de Zucco sur la mort (« je veux partir... je vais mourir »), probablement insérée très tardivement (et même peut-être, ultimement) au cœur du tableau VIII (« Juste avant de mourir »), laquelle commence sous l’égide de Rimbaud pour finir sous le patronage de la compagnie créole, comme pour conjurer le pathos facile qui ne devait pas manquer de sourdre ici et là dans l’écriture de cette histoire en un sens tragique, comme l’entend du moins Richard Brunel, le metteur en scène, aussi modeste que talentueux, de cette proposition : « Adapté à son interlocuteur, le discours de Zucco est parfois contradictoire, déconnecté de ses actes. Il impose dès lors une nouvelle forme de tragique, non pas celle des héros, du projet, de la détermination mais le tragique du hasard, du surgissement, de l’incontrôlé, de l’inexplicable ». C’est dans les ressources du cinéma que Brunel trouve ce qui lui permet de résoudre - le temps d’une représentation du moins – les deux problèmes évoqués en subsumant l’un par l’autre. En considérant ce qu’il appelle justement une sorte de road movie par le biais du montage (et on sait que le montage c’est l’éthique du cinéma), Brunel compose une scénographie en volets successifs (les tableaux fragmentés : tout semble hasardeux et indéterminé) mais tout en fondu-enchaîné (la chaîne du déterminisme tragique : tout s’enchaîne inéluctablement) en faisant en sorte que les multiples monades qui constituent cet ensemble de tableaux dramatiques s’enchevêtrent et se télescopent de façon incessante. La question du héros, incarné comme pure immanence physique par Pio Marmaï, et toujours composé a posteriori par le discours, entre le rhinocéros de Ionesco (tableau XV) et le Colosse hugolien (tableau VIII), prend tout son sens dans et par la construction scénique : perpétuellement en fuite mais toujours reclus : « il ne faut pas chercher à traverser les murs, parce que, au-delà des murs, il y a d’autres murs, il y a toujours la prison ».

Roberto Zucco de Bernard Marie Koltès, mise en scène de Richard Brunel. Plus d’informations du le site de la revue ETUDES: https://www.revue-etudes.com/archive/article.php?code=17408

 

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